LE CONCERTO : UN COMBAT DE BOSS

La rencontre entre Gould et Bernstein

Le concerto : un combat de boss

Le concerto associe l’expressivité au spectaculaire. Son but ? Permettre au soliste de démontrer toute l’étendue de ses capacités expressives, virtuoses (en un mot musicales), propres  à son instrument et à son  jeu.

Il y a dans le concerto un aspect très « m’as tu vu », mettant  sur un piédestal le soliste au détriment de l’orchestre, voir même du chef. D’où cette fameuse question :

« In a concerto, who is the boss ? »

 Leonard Bernstein versus Glenn Gould.

Le 6 avril 1962, Leonard Bernstein dirige le 1er Concerto pour Piano de Brahms. Le soliste est le pianiste canadien Glenn Gould, et celui-ci ne s’entend absolument pas avec le chef sur les termes de leur collaboration. S’en est suivi une allocution de Leonard Bernstein introduisant la représentation devenue aujourd’hui culte.

 

Cette intervention en dit long sur les affinités musicales entre Bernstein et Gould et démontre les enjeux potentiellement conflictuels entre le soliste et le chef. Toutefois si l’on se réfère à notre cher Wikipedia, cette allocution de Bernstein s’inscrit dans la plus pure tradition du concerto.

Extrait de la page Wikipedia dédiée au concerto :

L’origine du terme contient deux courants parallèles et complémentaires de son histoire. Concertare qui englobe l’idée de rivaliser, de se quereller, de lutter notamment en paroles. Ce terme se différencie de conserere qui a une signification de lien, de jonction mais qui peut être aussi l’idée de mettre aux prises.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Concerto

 

L’art de la diplomatie

Il est important d’entendre au travers cette allocution un art subtile de la diplomatie. Car même si dans ce concerto, « Gould is the boss« , il n’est en aucun cas le chef des musiciens.

Les membres du New-York Philharmonic sont des maîtres. Lorsque Bernstein s’adresse au public, il s’adresse aussi à ses musiciens en tant qu chef via un double discours. D’un côté il se dédouane auprès du public, mais dans le même temps, il assume la pleine responsabilité de cette représentation auprès de ses musiciens. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’envoie pas un chef assistant diriger à sa place, car cela serait perçu comme un manque de respect par ses musiciens…. Subtile non ?

 

Les raisons de la colère

Afin de mesurer ce que représente le parti pris de Glenn Gould et le potentiel tollé que cherche à s’éviter Berstein, voici deux versions du Concerto en Ré mineur de Brahms. La première, plus orthodoxe, est donnée par Rudolf Serkin et l’Orchestre de Cleveland. La deuxième version, moins orthodoxe donc, est celle donnée par Gould et le NY Philharmonic.

Rudolf Serkin au piano accompagne l’Orchestre de Cleveland dirigé par George Szell

Introduction du 1er mouvement Maestoso du Concerto en Ré mineur de Brahms

 

Glenn Gould au piano accompagne le NY Philharmonic dirigé par Leonard Berstein

Introduction du 1er mouvement Maestoso du Concerto en Ré mineur de Brahms

 

Le choix du compositeur

Pour reprendre la punchline de Bernstein, dans un concerto, le boss, c’est le compositeur. C’est lui qui décide des attributions des rôles et de la nature de la collaboration…. C’est pourquoi les choses se font finalement au cas par cas, d’où la part importante jouée par la personnalité des artistes impliqués.

 

Le cas du Concerto pour Violon de Tchaïkovski

Dans son Concerto pour Violon, Tchaïkovski donne clairement le rôle de chef au soliste. C’est bien simple, c’est lui le patron. C’est une chose subtile qui ne frappe pas à la première écoute, mais qui devient évidente lorsque l’on tend un peu l’oreille. Dans ce concerto, le soliste change ses tempi de manière extrêmement brutale, à tel point que cela devient une véritable gageure pour l’orchestre de suivre le soliste.

 

Le Concerto pour Violon de Tchaïkovski par Julia Fischer et l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Dans cette version du Concerto, regardez l’attitude de Julia Fischer. Ses yeux sont constamment fermés (ou presque). Elle se fiche complètement du chef. Elle joue à sa façon, c’est elle qui dicte les règles. A l’inverse, regardez comment le chef se tourne vers elle. Il lui consacre toute sa concentration afin de suivre son tempo. Elle, les yeux fermés, se tourne vers le public, lui, tourné vers elle, les bras ouvert, scrute chacun de ses signes.

 

Le combat exacerbé

Cette dimension conflictuelle entre le chef et le soliste a été merveilleusement cernée par le réalisateur du film Whiplash. Les deux extraits suivants sont issus d’une même séquence.

Le premier extrait vous présente le triomphe du chef et de son autorité. Dans celui-ci, le chef Terence Fletcher cherche à se venger de son ancien élève, le batteur Andrew Neiman. Pour cela il l’invite à jouer avec son groupe au JVC Jazz Festival. Quelques secondes avant de commencer à jouer, Andrew s’aperçoit que l’orchestre va interpréter un nouveau moreau. Sans partition, il va devoir improviser….

 

« Respect my authority ! » (Eric Cartman)

Le putsch du soliste.

Humilié, Andrew sort de scène avant de revenir, d’un pas plus décidé que jamais. C’est un véritable coup d’état musical auquel on assiste.

 

L’essence du concerto

Finalement je crois que le concerto, c’est un peu comme une équipe de football. C’est un jeu d’équipe dont la star se défini selon les rapports de force en présence. L’institution Real de Madrid est-elle plus forte que Ronaldo, ou l’institution PSG est elle supérieure à Neymar ? Question mouvante au sein de situations mouvantes. Comme le disait Bernstein, cela dépend. Un soliste de premier plan au sein d’un orchestre de second plan sera plus à même d’être le patron qu’un soliste de deuxième division au sein d’une phalange de niveau mondial.

A l’arrivée je crois que tout est question de collectif, et de la manière dont le chef et/ou entraîneur parvient à faire cohabiter la star au sein de l’équipe. Et voilà tout le problème de notre questionnement qui est finalement insolvable,  car dans le cas précis de ce concerto, c’est qui la star ? Bernstein, l’un des plus grands chefs de l’histoire ? Gould, l’un des solistes les plus charismatiques de l’histoire ? Ou le New-York Philharmonic, l’un des plus grands orchestres au monde ? Moralité en musique, comme en football, tout n’est qu’une question d’ego.

 


 

PS : J’espère vous proposer encore de nombreux articles de ce type. N’hésitez pas à m’apporter votre soutien en likant ma page facebook située sur le lien suivant : https://www.facebook.com/papapapamfr.

A bientôt 😉

Jürgen

2 Commentaires

  1. Gould a toujours approché les œuvres d’un point de vue d’un compositeur, comme ça se faisait couramment dans les siècles précédents.
    Mais voilà, le XXeme siècle fut celui de l’authenticité.
    Remarquez toutefois que nous n’avons aucun document sonore des siècles précédents, de la la place prise par la musicologie dans la réflexion interpretative.
    Le XXIem siècle débute par une copie verbatim du précédent, hélas !

    • Dans ce cas je vous invite à écouter Marina Baranova, et notamment l’album intitulé Hypersuites. Dans celui-ci elle revisite des grandes pièces baroques modulées par son bagage personnel et technique. Marina Baranova propose une relecture hyper personnelle et réellement fascinante !

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