LOUIS ARMSTRONG : LA DRÔLE HISTOIRE DU SCAT

Le Scat, c’est je crois la symbiose la plus parfaite entre culture pop et musique savante. Onomatopées chères aux comics books d’un côté, c’est aussi un formidable support de créativité et de fantaisie pour les jazzmen. Difficile dès lors que l’on se nomme papapapam.fr, de ne pas envisager le scat sous son aspect historique et ses liaisons avec la pop culture, non ?

John Scatman – 1994

 

Le scat aux origines.

Les origines du scat portent à confusion. Alors que beaucoup de sources citent l’ouvrage « La rage de vivre » de Mezz Mezzrow afin de dater l’invention du scat, ledit ouvrage se montre plus subtile en indiquant que c’est sur le disque Heebie-Jeebies de 1926 que « le vieux Gatemouth a enregistré pour la première fois du scat ». Le scat était donc une technique qui existait déjà à l’époque.

That Haunting Melody par Al Jolson

1er scat répertorié au disque, cette version est datée de 1917

 

King ot the Bungaloos par Gene Green

Un autre exemple de scat. Cette version semble plus affirmée dans son approche du scat que la précédente. Gene Green enregistra à 5 reprises cette chanson entre 1911 et 1917.

 

La Guerre de Clément Janequin à mi-chemin entre Scat et Beat-Box

La Guerre (1555) de Clément Janequin est considéré par beaucoup comme LE chef-d’oeuvre de la Renaissance. Dans cette pièce, Janequin pousse son art du madrigal et de la polyphonie à son paroxysme. La séquence ici proposée se situe à mi-chemin entre Scat et Beat-Box.

 

Louis Armstrong – 1926 – Louis Armstrong

C’est néanmoins en 1926, sous le génie de Louis Armstrong que tout bascula. En ce sens, l’ouvrage de Mezz Mezzrow devient un extraordinaire témoignage :

« Louis était en train de faire le clown devant le micro et venait d’entamer le vocal quand il lâcha le papier où étaient écrites les paroles et dut inventer le reste pour finir le chorus. Nous crûmes rêver en l’entendant chanter I got the heebies, I mean the jeebies, puis se lancer dans une suite de riffs qui était une version chantée de son  jeu de trompette […] ».

Dans l’extrait, Armstrong se met à scatter à 1 minute 53

« […] Tout de suite après « say don’t you know it », la partition tomba des mains de Louis. Il ne s’affola pas, ce n’était pas son genre. Il continua, raccrochant une ou deux phrases par-ci par-là, puis, ayant définitivement oublié les paroles, il se mit à improviser des scats syncopés qui venaient tout droit de son biniou. Grosso modo, cela donna à peu près ceci : »« A ce moment précis, l’instant où Louis laissa tomber ce bout de papier et donna libre cours à son génie d’improvisation, il marqua le début d’une mode musicale. Des mois après la sortie du disque, les types s’abordaient encore dans la rue en se saluant avec des riffs de Louis : « I got the heebies », disait l’un, « I got the jeebies », répondait l’autre en l’instant d’après ».

 

Ella Fitzgerald, Reine du Scat

Nous l’avons donc compris, Armstrong n’a pas inventé le scat à proprement parlé, mais c’est lui qui a su, par la loi du hasard et du génie, en faire un véritable phénomène de mode. Cette nouvelle technique vocale influencera de nombreux artistes, dont Ella Fitzgerald, qui fit du scat sa marque de fabrique lors de ses improvisations.

Air Mail par Ella Fitzgerald

Ce morceau est littéralement un truc de ouf malade ! Ella Fitzgerald nous montre toute l’étendue de son talent : prestance vocale, virtuosité en termes de diction, de justesse, de rythme, de tessiture, de créativité, de génie…

 

Et dire que tout ceci est parti d’une simple feuille tombée……

 

L’instant POP !

J’aimerais pour conclure vous proposer cette séquence mythique extraite du film, Le Livre de la Jungle. Au sein de cette séquence, on voit le Roi Louie offrir sa protection à Mowgli en échange du secret du feu. Cette scène donne lieu à un moment absolument jubilatoire où l’on voit le Roi Louie en train de scatter avec un Baloo déguisé en femme.

Voici les attributions du Roi Louie :

  1. Il s’appelle Louie, et c’est un roi.
  2. C’est un véritable showman.
  3. Il joue de la trompette.
  4. Il chante.
  5. Il scatte.

Alors vous direz peut-être que j’ai fumé trop de bananes, mais pour ma part j’ai toujours vu dans le personnage du Roi Louie, une représentation cartoonesque de Louis Armstrong chantant en duo avec Ella Fitzgerald ; Ella Fitzgerald elle-même représentée par un Baloo déguisé en femme.

En fait cette scène, c’est tout simplement Louis Armstrong qui chante en duo avec Ella Fitzgerald !!!!! Alors il fallait bien ce petit historique autour du scat pour vous l’expliquer, non ?  😉

 

Mise à jour du 5 octobre 2018

Après plusieurs retours de lecteurs m’indiquant que ce n’est pas Louis Armstrong mais Louis Prima qui chante dans la séquence du Livre de la Jungle, je me suis rendu compte que cette partie de l’article manquait de clarté. Cette mise à jour vise à affiner les propos explicités dans l’article.

I wanna be like you

Le chanteur qui interprète la chanson I wanna be like you est Louis Prima. Toutefois bien qu’une première version fut enregistrée par Louis Prima et son orchestre, George Bruns, directeur de la musique sur le film, recomposa la chanson des frères Sherman. Il faut donc retenir que Louis Prima, bien que trompettiste, ne fait que chanter sur la version définitive.

Aux dires des frères Sherman, ils voulaient donner une identité clairement Dixie à leur chanson. Le génie de George Bruns est d’avoir su conserver l’orientation Dixie des Sherman’s Brothers, tout en lui apportant une touche d’exotisme. Cette « touche » est notamment apportée par une inspiration issue du style jungle inventé par Duke Elligton.

 

Style jungle :

On doit à Duke Ellington le style « jungle » qui, à la fin des années 20, consiste à recréer musicalement l’impression d’une jungle imaginaire… à la fois jungle africaine et jungle urbaine.

 

Caravan par Duke Ellington et son orchestre. 

Voici un exemple typique du style « jungle » inventé par Duke Ellington.

 

Pour en revenir à notre scène, plusieurs pistes nous amènent à penser que le personnage du roi Louis, auto-proclamé King of the Swingers, représente Louis Armstrong. En voici les raisons :

  1. Louis Armstrong est le roi du swing. C’est lui qui est, en grande partie, l’inventeur du jazz et du style swing, dont il est le mentor. C’est d’ailleurs une des critiques que l’on fit à Armstrong qui évolua peu dans son style. Miles Davis notamment aurait souhaité qu’Armstrong participe à l’intellectualisation du jazz, en s’inscrivant dans le mouvement Be-Bop.

2. Le fait que Baloo scat tout en étant déguisé en femme singe accrédite également cette hypothèse d’un duo représentant Louis Armstrong et Ella Fitzgerald, car si le roi Louis est un roi  du swing, Ella ne peut qu’être sa reine (on pourra toutefois s’émouvoir du cliché entretenu par Baloo qui transforme ses lèvres avec deux noix de coco).

3. Aussi controversé, le début de la séquence où l’on voit King Louie fumer des bananes. Regardez ces yeux et son attitude, et l’effet des bananes sur Mowgli. Difficile à affirmer, mais il semblerait que ce que fument Louie et Mowgli ne soit pas réellement des bananes. J’écrirai un peu plus tard un article sur l’addiction (connue) d’Armstrong pour la marijuana, et notamment sur cette savoureuse histoire où Armstrong fit passer à la douane deux valises pleines d’herbe avec la bienveillance de Richard Nixon.

Extrait de la rencontre entre le Roi Louie et Mowgli.

 

Voici un extrait d’un article de l’universitaire Greg Metcalf : “C’est un livre de la jungle là-bas, gamin !” : Les années 60 dans le film de Walt Disney

King Louie – un nom que Disney ajoutera en référence à Louis Armstrong – préside un taudis situé sur les ruines du « Village des Hommes ». […] Dans la scène, on voit King Louie qui enfonce des bananes dans la bouche Mowgli qui apparaissent telles des cigares ou des joints surdimensionnés. […] Ces bananes ont le même effet sur Mowgli que la séance d’hypnose du serpent Kaa. Ici, les yeux du garçon deviennent vitreux et sa bouche dessine un sourire idiot. En se souvenant des histoires du tabac à la peau de banane des années 60, il semblerait que King Louie rend le garçon complètement stone. Avant de s’en rendre compte, Mowgli, le sourire aux lèvres, se lève afin de danser avec les singes.

Vous pouvez télécharger l’intégralité de l’article non traduit en cliquant ici.

 

Epilogue

Affirmer de façon trop péremptoire que cette scène présente Ella et Louis serait une erreur, ne serait-ce que pour la représentation caricaturale d’un tel tableau. La caricature peut amener à des raccourcis faciles dont il ne saurait être question ici. A travers cet article j’ai essayé d’aborder la chose avec plus de simplicité : il s’agit simplement de parler d’une séquence culte de Disney – et donc de la culture pop -, de ses différents niveaux de lecture, et de sa profondeur.

 


 

J’espère vous proposer encore de nombreux articles de ce type. N’hésitez pas à m’apporter votre soutien en likant ma page facebook située sur le lien suivanthttps://www.facebook.com/papapapamfr.

A bientôt 😉

Jürgen

 

 

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